30 mai 2003

De retour au terrier... Se retrouver sans emploi comporte tout de même quelques avantages, comme de renouer avec des gens qu'on n'a pas vus depuis des années - "en tous cas, si tu entends parler de quelque chose, fais-moi signe" - et d'agrandir son réseau de connaissances - "on ne sait jamais ce qui peut se présenter: on se tient au courant".

L'autre avantage non négligeable de ne pas avoir à rentrer au bureau, l'après-midi, c'est qu'on peut s'aventurer à aller luncher dans un nouveau quartier. Aujourd'hui, dans le Faubourg des Récollets, j'ai redécouvert avec joie le Cluny, dont les antipasti et les sandwiches sont simplement extra. Et quel plaisir de manger à l'ombre des installations des artistes qui exposent à la Fonderie Darling! Les amateurs du Titanic, du Cartet et d'Olive et Gourmando y trouveront certainement leur bonheur...

Parlant de renouer avec des gens qu'on aime beaucoup, la référence de M. à ce carnet s'est rendue à mon amie N., qui patauge elle aussi dans le merveilleux monde des TIC et qui m'a écrit un mot tout gentil, un mot à son image, donc!

C'est presque un cliché de dire ce que je m'apprête à dire, mais, savez-vous, ça m'impressionne toujours de constater à quel point la société québécoise est tricotée serré. Tout le monde connaît tout le monde ou connaît quelqu'un qui connaît tout le monde qu'on veut connaître. Au-delà des questions (essentielles) de la francisation des immigrants et de la reconnaissance de leurs acquis, c'est peut-être ça, le plus grand défi de l'intégration des nouveaux citoyens du Québec: faire en sorte qu'ils arrivent à pénétrer ces cercles sociaux, par lesquels tout semble arriver ici.

Voilà que je dois mettre de côté, l'espace de quelques jours, le roman de Michael Chabon dont je vous parlais hier. Nouveau sujet à l'ordre du jour: la gestion de connaissances et la mémoire des organisations. Beau sujet, que j'essaie d'appréhender en évitant les théories à la mode et le buzzword bingo. Si vous avez des lectures à me recommander, écrivez-moi, j'ai besoin de nourrir ma réflexion...

29 mai 2003

Busted! Vous me direz que je n'en suis pas à un paradoxe près, mais j'ai été diablement surpris quand j'ai reçu un courriel de mon amie M., blogueuse de son état, qui avait lu mon premier billet. Quoi, j'ai des lecteurs? (Oui, oui, je sais que mon blogue est public. Mais ça surprend toujours un peu.)

Je profite de ces quelques jours - semaines? mois? (aïe!) - d'oisiveté pour rattraper mon retard, côté littérature et musique. Je me suis donc lancé à corps perdu dans The Amazing Adventures of Kavalier and Clay, de Michael Chabon, dont j'avais beaucoup aimé The Wonder Boys. Vous avez sûrement déjà éprouvé ce léger pincement en terminant à regret un roman que vous avez fréquenté pendant quelques semaines... Eh bien! imaginez à présent le sentiment inverse: le bonheur de tomber amoureux d'un univers littéraire dès les cinquante premières pages, en sachant qu'il vous en reste encore plus de six cents! On s'en reparlera.

Et puis, pour chasser la grisaille de ce jeudi de printemps - bien que ça sente bon, la grisaille -, j'écoute The Sounds. Leur album, "Living in America", vient à peine de sortir ici et je vous assure que ce sera la trame sonore de mon été. The Sounds, c'est un groupe suédois qui ressemble à la réincarnation de Blondie (pour le côté new wave new-yorkais un peu baveux, un peu "sale") et d'Ultravox (pour les lignes de synthé froides comme la banquise), avec en plus l'entrain des Go-Go's (pour leur côté festif très estival) et de Missing Persons (pour la voix et la blondeur de la chanteuse, qui rappelle étrangement Dale Bozzio). Ils seront au Campus samedi soir et moi aussi!

Ils chantent "We're not living in America, but we're not sorry". C'est vrai qu'ils semblent avoir appris la grammaire anglaise dans le même manuel que Björn et Benny, d'Abba, mais on aurait tort d'y voir un antiaméricanisme primaire. L'Amérique dans laquelle la fille et les gars de The Sounds n'habitent pas, ce n'est pas un lieu géographique. Ce n'est pas non plus un peuple ou encore, ohmigod, un "gouvernement". Cette chanson, je pense que c'est plutôt une façon de dire que ça signifie encore quelque chose, être suédois, être québécois, être catalan. It's Dubya's world, but I'm not living in it.

Moi, j'habite les pissenlits du parc d'en face. J'habite la bouche d'égout qui s'élève, un peu triomphale, juste à côté de l'anneau de course à pied - curieux, je n'ai jamais vu personne s'y casser la gueule. J'habite même les trois pistes de triple saut et leur grand bac à sable. Qui apprend encore le triple saut, d'ailleurs?

Mon parc, c'est l'une des étrangetés de l'olympisme montréalais. Je vous raconte, en deux mots. En face de chez moi, il y avait autrefois la pépinière municipale de Montréal. (Qui se trouve aujourd'hui à L'Assomption.) À l'approche des Jeux olympiques de 1976, vous vous souvenez peut-être que Montréal a aménagé toute une ribambelle de lieux de compétition: le centre Claude-Robillard, le centre Étienne-Desmarteau, etc. Lieux qui devaient servir, à l'issue des Jeux, à stimuler la pratique du sport chez les jeunes - c'était moi, ça.

L'un de ces lieux méconnus - parce qu'ils ont servi à l'entraînement des athlètes, pas aux compétitions elles-mêmes -, c'était l'ancienne pépinière, qui est devenue un parc. D'où les pistes de triple saut et de saut à la perche, et l'aire de lancer du poids, juste devant ma porte.

Tout imbu de l'idéal olympique, je me suis passionné pour les exploits de ces athlètes dont tout le monde se fichait éperdument. Joao Carlos de Oliveira, le roi brésilien du triple saut. L'Est-Allemand Udo Beyer, dont on se demandait dans quel flacon il puisait sa force... Et le perchiste Tadeusz Slusarski, qui donna à la Pologne une - trop rare - raison de célébrer.

Et je me suis mis au triple saut, l'espace de quelques semaines. Aujourd'hui, je vois les jeunes de la polyvalente trottiner paresseusement sur la piste, visiblement ennuyés par ce pensum. Il y a bien vingt ans que j'ai vu quelqu'un s'exercer au lancer du poids. Les tout-petits squattent les bacs à sable du triple saut. Et je me demande pourquoi on devient lanceur de marteau.

28 mai 2003

C'est ici que tout commence: sur une page blanche. Le temps d'ouvrir mes stores verticaux et d'observer ce qui se passe de l'autre côté de la fenêtre...

Voilà! J'ai la même vue sur le même parc depuis 28 ans et je ne m'en lasse pas. Les mêmes arbres - que j'ai vus grandir depuis leur tendre enfance. C'est déjà effarant de voir pousser les enfants de mes amis - "comment ça, elle est déjà en troisième année?" -, imaginez donc l'effet que ça me fait de dire à mes arbres: "Je vous ai connus, vous étiez hauts de même!".

Rien n'a vraiment changé dans ma rue. Les mêmes veuves portugaises portent leur deuil devant ma porte, en route vers l'église du coin. Leur pas a ralenti, mais pas tant que ça. Les maternités répétées avaient déjà alourdi leurs jambes: à trente-cinq ans, on devinait déjà leurs soixante ans.

Bon, voilà le téléphone... Le réseau des chômeurs s'active!